"Ruptures et rebonds" : en mouvement avec Patricia Ferrante, sophrologue, accompagnante aux deuils et formatrice agréée
February 7, 2024
J’ai interviewé Patricia Ferrante de enVie Deuil, sophrologue, accompagnante aux deuils et formatrice agréée auprès des professionnels de santé et des entreprises, que j'ai rencontrée dans un groupe de femmes entrepreneures. Je trouve intéressant de partager son activité assez peu connue, et qui pourtant mérite vraiment d’être mise en lumière.
Mojo Influence : Bonjour Patricia, ravie de t’accueillir pour cet entretien. Peux-tu te présenter, et nous expliquer ce qui t'a amenée à travailler dans le milieu de l’accompagnement au deuil ?
Patricia Ferrante, enVie : J'ai fondé mon entreprise avec cette spécialisation sur l'accompagnement au deuil et des ruptures de vie à la suite d'une évolution personnelle et professionnelle. Je me suis reconvertie en 2011 et j’ai ouvert mon cabinet de sophrologue en commençant par accompagner des particuliers sur des thématiques assez larges. Très rapidement, je me suis rendue compte que derrière la demande première des personnes que je rencontrais au cabinet, il y avait des deuils non résolus qui entravaient leur développement sans qu’ils en aient conscience. Un peu comme si ces expériences douloureuses s’étaient figées en eux sans s’être métabolisées au moment de leurs vécus. Quand je dis deuils, je pense deuils au sens large, que ce soient des deuils après le décès d’un proche ou à la suite d’une rupture ou d’un changement de vie. C’est venu résonner avec mon histoire de vie et mes deuils personnels, que ce soient le décès de mes parents ou mes séparations personnelles et professionnelles. Du coup, j’ai eu envie d’aller plus loin et de me former. J’ai commencé par l’accompagnement en fin de vie en formation pro puis en tant que bénévole. J’ai enchaîné par un diplôme universitaire sur le deuil au Centre éthique de la faculté de médecine de Paris.
J'ai continué à accueillir des personnes en deuil d'un proche et ça reste mon cœur de métier. Petit à petit, on est venu me chercher pour donner formation. Et à partir de là, les choses se sont étendues. J’ai commencé à former mes pairs sophrologues, et ensuite, également du personnel soignant. Là aussi, ce sont des publics de cœur.
J’interviens aussi en entreprise. L'entreprise étant un monde que je connais bien, puisque j'y ai exercé, avant ma reconversion professionnelle, pendant 13 ans, d'abord en tant qu'avocate, puis ensuite en tant que juriste.
Je me rends compte maintenant que mes différents métiers me permettent aujourd’hui de naviguer aisément entre ces différents mondes professionnels.
En parlant, je repense qu’à un certain moment de ma vie, j'avais hésité entre ces deux univers, l'univers du Droit et celui de la Santé.
À la fin de ma première année de Droit, je n'ai pas pu me présenter aux examens car ma mère est décédée et je l’ai donc redoublée. Dans l'incertitude des résultats, je me suis dit que je pourrais aussi passer mon concours d'infirmière, ce que j'ai fait et réussi. J'ai aussi réussi ma première année de Droit. Je me suis donc retrouvée face à un choix et je suis restée en Droit, ce qui m’a conduite en cabinets d’avocats puis en entreprise.
Finalement, la vie me ramène, par des chemins de traverses, vers le secteur de la Santé et de l’accompagnement tout en créant de l’espace pour une cohabitation avec le droit.
Aujourd'hui, je forme les soignants à l'accompagnement au deuil et en Droit de la santé (législation de fin de vie, déontologie, secret médical, identitovigilance, éthique, droit des patients). Finalement, mes deux univers professionnels se rejoignent parfois, et se portent l’un l’autre.
Je souris en parlant et je me dis que la vie est sacrément surprenante et une belle aventure à vivre !
Mojo Influence : Quelle est ton secteur d’intervention, ce sont des professionnels ? Des particuliers ?
Les deux, de façon différente.
Pour ce qui est des entreprises et des professionnels de santé, il y a effectivement le volet Formation tant au stade de la prévention que de l’action. Et puis il y a le volet Intervention d’urgence lorsqu'ils sont confrontés à des décès de collaborateurs sur site ou hors site. J’interviens pour la prise en charge immédiate des équipes les plus touchées, et ensuite, pour le suivi plus personnalisé si nécessaire.
Mojo Influence : Tu parlais de ruptures de vie, c'est le même cheminement d'avoir une rupture de vie et de vivre le deuil à la suite du décès d'une personne proche ?
Patricia Ferrante, enVie : Alors, pas tout à fait, il y a des grosses différences et en même temps des similitudes. Dans les 2 cas, l’évènement déclencheur peut faire voler en éclats des points de repère, selon la manière dont il est vécu.
Je n'aime pas comparer les deux ou aborder les deux dans une même formation par exemple parce qu'il y a des spécificités qui demandent à être présentées séparément.
Mojo Influence : Ce sont quand même les mêmes étapes du deuil finalement?
Patricia Ferrante, enVie : Pour moi, il n'y a pas vraiment d'étapes. Il y a un processus. Il y a un processus d'adaptation à une situation qui est la plupart du temps subie, et qui confronte à une profonde crise identitaire.
Les 5 étapes définies par Elisabeth Kübler-Ross, qui sont souvent les références pour la plupart des gens, ont été définies en se basant sur des constatations et des observations de personnes qui étaient en fin de vie.
Elles sont donc valables pour des patients en fin de vie qui ont un deuil à soi à faire, et pour leurs proches qui sont en pré deuil, mais elles ne sont pas adaptées au processus de deuil post-mortem, ou à celui qui suit une rupture de vie.
Pendant le processus dont je parle, on va effectivement traverser des phases qu'on peut expliquer dans une formation, qui sont tout sauf linéaires, et par lesquelles certains ne feront que passer brièvement, d’autres y resteront et d’autres encore feront l’impasse sur certaines.
Le deuil est une expérience à la fois universelle et si personnelle, ces explications se veulent uniquement être un phare au cœur de la tempête pour permettre aux endeuillés ou aux personnes en pleins changements de se rassurer sur la « normalité » de leur vécu.
Mojo Influence : Alors finalement, qui et qu'est-ce que ça peut toucher, les ruptures de vie ?
Patricia Ferrante, enVie : Tout ce qui fait effraction dans votre vie et qui vous demande de vous adapter. Ça peut être des séparations, des divorces ou l'annonce d'une maladie grave. Si on vous annonce que vous avez un cancer en stade deux ou trois, et même en stade un, ça va vous bousculer, voire vous chavirer. Les gens utilisent souvent les termes « ça a été comme une déchirure », « comme « un effondrement », « un point d’arrêt ». Ce sont des termes forts qui sont utilisés.
Un licenciement auquel on ne s’attend pas et que l’on ne souhaite pas peut également être vécu comme une rupture de vie. Par exemple, dans le secteur financier, des personnes qui ont un poste important peuvent être licenciées et hors de l’entreprise en 2 heures de temps. Bien que motivée par des raisons de confidentialité, cette situation met à mal l’estime de soi de la personne licenciée, et peut l’empêcher de rebondir.
Mojo Influence : Peux-tu me parler de l'approche que tu as en formation pour les entreprises ou pour les professionnels de santé ?
Patricia Ferrante, enVie : L'approche varie selon le sujet et le public.
Dans tous les cas, mes formations sont interactives et collaboratives. L’une de mes intentions est et reste de proposer de la matière pour susciter la réflexion et développer chez les participants, ce qui est une de mes valeurs essentielles, le discernement.
Généralement, il y a une partie théorique pour comprendre ce qui se joue pour l’endeuillé et revisiter les croyances bien souvent erronées sur le sujet. Seule cette compréhension permet de trouver la posture juste.
Ensuite, je fais réfléchir les participants sur leur propre posture face à des thématiques comme la vulnérabilité émotionnelle, la mort et le deuil. Pour être présent aux autres encore faut-il être capable de savoir ce qui se passe en soi et pouvoir identifier si on a la disponibilité émotionnelle pour accueillir l’autre et savoir qu’il y a des solutions lorsque ce n’est pas le cas.
Après, c’est par une approche expérientielle que les participants se pencheront sur ce qui peut soutenir l’autre dans son processus de deuil. Il s'agit là aussi de balayer les doutes sur leur capacité à pouvoir impacter positivement les personnes qui sont en deuil autour d’eux.
Par exemple, à l’hôpital, la façon d’être d’un soignant avec une personne en fin de vie sera perçue par ses proches et va devenir un élément facilitateur ou non de leur deuil.
Aujourd’hui on sait que le temps du personnel soignant est chronométré, ce qui peut être frustrant, et remettre en question le sens et la motivation. On ne peut pas changer cela. Par contre, on peut changer sa qualité de présence : ces minutes auprès du patient peuvent se remplir de gestes doux, d’un sourire, d’un mot pertinent. Cette qualité de présence fera toute la différence et restera gravée dans l’esprit de l’entourage.
Cette phase de la formation permet aussi aux soignants de s’apaiser car ils pensent ne pas savoir comment « être » alors que la réponse est bien plus simple qu’ils ne le pensent. Etre là et pouvoir accueillir ce qui est, c’est déjà énorme.
Dans les entreprises, chaque geste a également son importance pour les collaborateurs présents lors d’un décès sur site par exemple, que ce soit la rapidité d’intervention des secours ou la prise en charge des équipes.
Lorsque les gestes et les paroles justes sont posés, les salariés se sentent rassurés sur le fait qu’ils évoluent dans un environnement qui « prend soin », ce qui les fidélise et favorise leur engagement.
À l’inverse, les faux pas et maladresses dus à un manque d’anticipation peuvent heurter les salariés et les laisser penser que, par exemple, « si un pion tombe, on l’évacue ». L’image de l’entreprise est ternie et l’implication salariale potentiellement affectée.
Les salariés s'engagent plus dans une entreprise où ils sentent que l'humain est pris en compte dans des situations difficiles. C'est important de prendre le temps de réfléchir à comment on va dire au revoir au sein de la structure, à ce qu'on fait du bureau de la personne décédée, à comment on représente l'entreprise aux obsèques, et à ce qu'on met en place pour le personnel témoin du décès ou proches collaborateurs du défunt.
D’autres questions tout aussi importante se posent pour encadrer les salariés en deuil qui reviennent travailler.
Dans tous ces cas, la formation permet de préparer les différents acteurs à agir si nécessaire. Idéalement, ce serait encore mieux d'anticiper par la mise en place de procédures soutenantes et d’un référent deuil formé.
Mojo Influence : Est-ce les entreprises ont conscience qu’elles peuvent être accompagnées ainsi ? C’est quand même important la démarche que tu proposes ?
Patricia Ferrante, enVie : Alors la mort est encore un sujet tabou et les entreprises l’aborde lorsqu’elles y sont confrontées pour l’oublier le plus vite possible. Certaines choses pourraient être mise en place de manières préventives, avec par exemple, la formation en interne d’un référent deuil.
Les choses bougent un peu même si le mouvement est timide. Or, le deuil est un sujet innovant pour une entreprise qui se voudrait avant-gardiste au niveau de sa RSE1 qui, pour moi, inclus les RPS2.
Le challenge est lancé !
Mojo Influence : C'est vrai que ce sont des sujet auxquels on ne pense pas forcément en amont.
Patricia Ferrante, enVie : Oui, l’évolution de nos sociétés occidentales a écarté la mort de nos quotidiens et de la réalité de la vie nous faisant oublier qu’elle fait partie intégrante de notre condition humaine. Cela nourrit notre illusion d’éternité. Donc, quand elle surgit c’est violent. Si ma collègue est tombée dans son bureau, ça me rappelle que ça pourrait peut-être m’arriver à moi aussi. Tout est remis en question dans ces moments-là.
Mojo Influence : Merci Patricia pour cet échange vraiment intéressant ; ce que je ressens malgré tout, avec cette thématique pas forcément facile, c’est beaucoup d’enveloppement et de douceur dans ton approche et dans ton discours. Ton intervention permet vraiment de poser un autre regard et d’élargir la vision d’un dirigeant d’entreprise.
Pour contacter Patricia : www.en-vie.lu
RSE1 : responsabilité sociétale des entreprises
RPS2 : risques psychosociaux